C'est quoi ce nom ?!

D'où ça sort ce drôle de nom, "Origami" ? Ça part d'un poème qui m'a saisi. Puis de l'idée que la liberté se déplie à plusieurs. Et puis enfin, un voilier en origami, c'est plutôt joli non ?

C'est quoi ce nom ?!
Ils ont le réseau, tu n'as rien. Tu es le 0, ils sont le 1.
Alors noue ! Construis avec d'autres les communs.
Et au cœur de ce nous, explore à quel point tu es liens.
Politique de l'amitié : s'élever du solitaire au solidaire,
de la grappe au groupe, du connectif au collectif.

La liberté des autres déplie la nôtre — ORIGAMI.

En avril 2019, la revue Terrestres publie, quelques jours avant sa sortie, quelques extraits du nouveau roman d'Alain Damasio. Le chapeau présente le livre comme "un puissant contrepoint aux dystopies glaçantes", porté par des mouvements insurrectionnels qui inaugurent des ZAG, des Zones Auto-Gouvernées. Des espaces où l'on ne fait pas que résister : on invente des manières de vivre autrement. Modèle et pratique. Ces ZAG, écrit Terrestres, "annoncent le dépassement possible de l'Anthropocène."

L'extrait raconte une scène où des insurgé·e·s tracent des "mantras" sur l'île de Porquerolles, à la craie, au sable, au bois flotté. Poésie insurrectionnelle dispersée sur le territoire.

L'un d'eux est marqué à la craie sur la place du village, à côté d'une horde de ronfleurs dans des sacs de couchage. Le narrateur le décrit comme "un peu le noyau du combat". C'est ce poème, que j'ai remis en haut de cet article, qui m'a touché en plein dans le mille, ou le mile (nautique) , c'est selon ... !

Et depuis, ce nom Origami tourne dans ma tête, accompagné de son sous-titre "la liberté des autres déplie la nôtre" Puis Hoedic le voilier, arrive un peu plus tard, en 2021. Et tout de suite, je l'ai su : en fait, c'était lui Origami !

Il s'appelait Hoedic. Il est maintenant Origami. Je l'ai renommé sans cérémonie, sans donner raison aux superstitions de marins. Parce que céder à ce rituel là, à cette superstition, c'est les embarquer toutes, avec leur fond colonial, sexiste, machiste. Le monde de la voile charrie ses héritages poussiéreux. Ce n'est pas pour les perpétuer que je navigue, c'est pour en explorer les alternatives émancipatrices : une voile qui inclut, qui accueille, qui soigne, qui partage plutôt que de piller.

Ce qui m'a saisi dans ce poème, c'est le mouvement entier.

Ce qui me touche profondément, c'est sa façon de plier tous ces symboles qui me sont chers. Le poème part d'un constat brutal : le déséquilibre de pouvoir. Ils ont le réseau, tu n'as rien. Tu es le zéro face à leur un. Puis l'impératif : Alors noue ! Pas "alors fuis" ou "alors combats". Noue. Construis les communs. Et ensuite cette injonction étrange, tournée vers l'intérieur : explore à quel point tu es liens.

La montée qui suit, du solitaire vers le solidaire, de la grappe vers le groupe, du connectif vers le collectif, dessine une progression politique. On ne saute pas du moi au nous. On s'émancipe, palier par palier, et par les autres. Et la chute arrive comme une évidence : la liberté des autres déplie la nôtre.

L'origami n'est pas une métaphore décorative. C'est l'aboutissement d'un mouvement qui part de la critique du pouvoir et arrive à la liberté relationnelle. Une liberté qui ne se conquiert pas seul, qui n'existe que dans le geste avec les autres.

Et le contexte compte : ce poème n'est pas écrit par un auteur isolé. Il émerge d'un collectif en action, tracé à plusieurs mains. Le geste d'écriture est déjà ce qu'il énonce : faire ensemble, faire corps.

Derrière Damasio, il y a déjà une pratique collective

La Volte, sa maison d'édition, se décrit comme "animée par une horde, sans cesse mouvante, d'amis et de passionnés". Dans les Alpes-de-Haute-Provence, Damasio a participé à la création d'une ZESTE, une Zone d'Expérimentation Sociale Terrestre et Enchantée : l'École des Vivants. Les lectures publiques, les concerts-lectures avec Yan Péchin, la communauté qui s'est tissée autour : tout ça forme une pratique cohérente.

Et ses fictions elles-mêmes sont un geste double. Poétiques par la forme, car la langue de Damasio est une matière vivante. Et poétiques au sens premier : elles créent. Elles rendent des alternatives imaginables, donc désirables, donc possibles. Pas des utopies hors-sol, mais des futurs plausibles. Les ZAG du roman préfigurent les ZAD du réel. Ou plutôt, elles les prolongent dans l'imaginaire pour montrer ce qu'elles pourraient devenir.

C'est cette approche qui me parle : faire ensemble et joyeusement pour ouvrir les possibles. L'Aventure Origami veut rendre l'enquête itinérante vivable. Même geste : donner forme concrète à ce qui sinon reste abstrait.

Plier, déplier, transformer

Plus j'ai vécu avec cette métaphore, plus elle s'est épaissie.

👉 Déplier, c'est l'ouverture. S'étendre, explorer, sortir d'une forme contrainte. Le voyage, l'enquête, la rencontre. Pour moi, c'est l'invitation à sortir de mon réflexe de tout faire tout seul.

👉 Plier, c'est l'action collective qui donne sens. Une feuille de papier non pliée n'est rien, juste une surface plane, sans signification. C'est le geste de pliage qui fait naître la grue, le voilier, la fleur. Pas d'origami sans action.

👉 Transformer sans ajouter. On ne colle rien, on n'importe pas de matière extérieure. On reconfigure ce qui était déjà là, les communs pré-existent. Il s'agit de les retrouver, de les défroisser et de les replier, ensemble.

Et puis il y a le côté "plurivers" que la métaphore porte qui me parle beaucoup : avec la même feuille, le même espace-temps, chacun·e plie comme iel l'entend. Le support est commun, les formes sont multiples. Pas de prescription sur ce que l'origami doit devenir. Juste un accompagnement du geste.

Ce qu'Origami fait déjà...

L'aventure Origami n'attend pas 2027 pour exister. Et Origami, le voilier, n'attend pas pour faire sa part.

Origami comme une bibliothèque et un lieu de questionnement !

Origami a déjà été refuge ponctuel dans l'agitation des Glénans, un espace de retrait quand le collectif intense de la base invite au repli. Il a été matière-support à des initiatives qui avaient besoin d'un lieu pour se déplier. Il a accueilli des activistes fatiguées, offrant quelques jours de flottement hors du monde terrestre, loin de l'urgence permanente.

Rien de spectaculaire, mais c'est déjà ça : un voilier qui permet, de temps en temps, à d'autres de plier leur propre forme.

Ce qu'Origami sera peut-être...

L'aventure 2027, si elle advient, ne sera pas un commencement. Ce sera un changement d'échelle, un papier plus grand.

Le même geste, élargi : longer le littoral pour rencontrer des collectifs qui plient leurs propres alternatives. Des ZAG terrestres, maritimes, dispersées. Documenter leurs formes. Offrir parfois un espace de réflexion à ceux qui le demandent. Et, chemin faisant, me déplier moi aussi avec la liberté des autres.

Un voilier qui aide celleux qui veulent à s'émanciper pour prendre soin de leurs proches et de leurs causes. Une aventure qui tend à élargir l'échelle d'action, à bouger pour faire diversité.

La liberté des autres déplie la nôtre. C'est un programme. C'est une éthique d'action.

ORIGAMI !